Consualia

Dans l’ancien calendrier romain, le 15 décembre est le festival appelé consualia, en l’honneur du dieu Consus (ou une variante de Neptune selon certains). Le festival a des origines très anciennes, attribué au fondateur mythique de Rome, Romulus lui-même.

Je vous fait grâce des origines du festival, qui est lié à une histoire importante mais que l’on ne raconte pas en famille. Le côté plus sympathique de cette fête de l’ensilage est ceci:

Dans l’antiquité à Rome comme dans maintes contrés, le grain étant conservé dans des citernes souterraines, l’autel de Consus était lui aussi sous terre, et gardé enterré sous une couche de terre. Le 18 août (pour la récolte) et le 15 décembre, l’autel est déterré. On remercie le dieu Consus (de même que Mars et les Lares), mais aussi les animaux qui aident aux travaux de la ferme. Chevaux de travail, boeufs de charrue et mules ont une journée de congé et leur cou est paré de fleurs.

Citernes pour l’entreposage du grain.

Un tour de carrus

J’ai toujours trouvé étrange que ce soient les Gaulois qui aient d’abord utilisé des chars en Europe de l’Ouest, malgré l’absence de bonnes routes. Il y a des théories concernant des routes de bois semblables à celles utilisées dans les forêts canadiennes, qui ne laissent que peu de traces archéologiques. Quoiqu’il en soit, les Étrusques ont pris le chariot des Gaulois, les Romains l’ont pris des Étrusques, l’ont appelé carrus et ont construit des routes pour le faire rouler en grand style.

L’emploi du char est bien établi au début du 4e siècle. En 389, Marius Furius Camillus a droit à un triomphe à la manière des rois étrusques de 150 ans auparavant :

Titus Livius, Histoire romaine, VI, 4 :

(1) Camille rentra dans Rome en triomphe, après trois guerres et trois victoires. (2) Une longue suite de prisonniers, la plupart étrusques, allait devant son char.

Chariot étrusque du 6e siècle avant J.-C. trouvé à Monteleone, en Italie.

Chariot étrusque du 6e siècle avant J.-C. trouvé à Monteleone, en Italie.

Noms romains

Page terriblement utile des prof. Nadia Massoudy et Patrick Pla sur les noms romains couramment utilisés.
Mon nom romain pourrait être quelque chose comme Manius Caninius Merula, je suppose.
Juste un mot sur la tria nomina, le nom en trois parties. Grossièrement: le prénom, le nom de famille, le surnom. Au début du 4e siècle :
Tout le monde avait un prénom (praenomen), utilisé couramment. Le choix est très limité. Crier « Titus! » dans une foule du forum fait probablement tourner beaucoup de têtes.
Le nom de famille (nomen) est vraiment le nom du clan familial (ne pas confondre avec la tribu utilisée pour le recensement). Seuls les nobles en ont un.
Le surnom (cognomen) était d’usage courant, mais probablement pas encore héréditaire. Si quelqu’un s’appelle Capito, c’est donc vraiment lui qui a une grosse tête, pas l’un de ses ancêtres. À la place du surnom ou même en plus de celui-ci, l’adjectif correspondant au nom de la ville d’origine peut être ajouté.
Par exemple, Appius Claudius Sabinus Inregillensis, né au début du 6e siècle avant J.-C. : Il est probablement appelé Appius par tous ceux qui le connaissent bien; il fait partie de la famille Claudius (les Claudii – il existe une forme plurielles pour les noms de famille); sa famille est d’origine sabine (les Sabins sont un peuple voisin), de la ville de Inregillum.
Étant d’origine sabine, Appius Claudius est en fait son nom latin. Son nom de naissance était peut-être Attius Clausus.

Les métèques

À Athènes, les lois introduites par Solon permettent la citoyenneté aux immigrants possédant des qualifications utiles. C’est suivant ce premier octroi de droits civiques aux étrangers à grande échelle qu’Athènes devient un grand centre manufacturier. Ça se produira à d’autres occasions où la cité manque de main-d’œuvre.
Les non citoyens pouvaient rester mais restaient des résidents étrangers, sans droit de posséder de la terre ni se représenter en cour. Un citoyen étranger vivant dans une cité grecque s’appelle métoikos (littéralement : changement de résidence), ou métic. Apparement, le terme péjoratif métèque duquel se font parfois affublé les immigrants en Europe est un dérivé direct du terme grec.

Bornes routières

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Une borne routière romaine, au Portugal

Certaines routes romaines étaient déjà munies de bornes milliaires au 5e siècle avant J.-C.
Titus Livius, Histoire romaine, V, 49 :

(6) Ensuite une autre action plus régulière s’engage près de la huitième borne du chemin de Gabies où ils s’étaient ralliés dans leur déroute, et, sous la conduite et les auspices de Camille, ils sont encore vaincus. Là le carnage n’épargna rien ; le camp fut pris, et pas un seul homme n’échappa pour porter la nouvelle de ce désastre.

Livius parle ici de l’invasion de Rome par les Celtes, donc en 390 J.-C. L’affrontement décrit a donc eu lieu à huit miles de Rome, sur la route qui mène à Gabii. La mesure est prise à partir d’un point dans le forum, près du vieux temple de Saturnius, au pied du capitole.
Un mile romain (milia passuum, « mille pas »)est nettement plus long que le mille britannique : 2,38 km plutôt que 1,61 km). La huitième borne est donc à 19 km de Rome, pas à 12,9 km.
La borne elle-même (miliarium) était une grande pierre avec une inscription indiquant la distance parcourue depuis Rome. Elles seront plus tard de forme semblables partout dans l’Empire (circulaires sur une base carrée, 1,5m de haut), mais j’ai du mal à trouver une confirmation que cette forme était en vigueur au 4e siècle. Il est possible que l’uniformisation soit venue plus tard.

Quand la biologie rencontre le droit…

Dernière loi de la Table IV:

L’enfant né après les dix mois de la mort de son père n’est point admis à sa succession légitime.

Mais l’enfant a forcément un père quelque part. Semble indiquer qu’il est difficile de faire reconnaître la paternité d’un homme si la femme est martiée à quelqu’un d’autre.

Petite histoire : Pompée, Xenophon et les rhododendrons hallucinogènes

Quand les abeilles n’ont que des fleurs empoisonnées sous la patte, le résultat peut être surprenant.

Les amateurs de plantes d’intérieur savent bien que le rhododendron est toxique. On les met hors de la portée du chat pour éviter les accidents. Mais quand ces arbustes couvrent toute une vallée ou le flanc d’une colline comme c’est le cas dans certaines régions d’Asie, le poison apparaît dans des endroits surprenants, à commencer par le miel des abeilles locales.

Les 10 000 soldats grecs revenant de Mésopotamie en 401 avant JC ont traversé une telle région en Turquie. Dans le 4e livre de son Anabasis, Xenophon décrit l’effet du miel sur les hommes de sa troupe :

(…) tous les soldats qui mangèrent des gâteaux de miel, eurent le transport au cerveau, vomirent, furent purgés, et qu’aucun d’eux ne pouvait se tenir sur ses jambes. Ceux qui n’en avaient que goûté, avaient l’air de gens plongés dans l’ivresse ; ceux qui en avaient pris davantage ressemblaient, les uns à des furieux, les autres à des mourants. On voyait plus de soldats étendus sur la terre que si l’armée eût perdu une bataille, et la même consternation y régnait. Le lendemain personne ne mourut ; le transport cessait à peu près à la même heure où il avait pris la veille. Le troisième et le quatrième jour, les empoisonnés se levèrent, las et fatigués ; comme on l’est après l’effet d’un remède violent.

Trois siècles plus tard, le consul romain Gnaeus Pompeius Magnus a vu une partie de ses troupes réduites à l’impuissance après avoir consommé du miel semblable dans le région de Trézibon, pendant sa campagne contre Mithriades VI au 1er siècle avant JC. Connaissant la passion de Mthriades pour les poisons de toutes sortes, il est facile de soupçonner qu’il a manoeuvré ses troupes de façon à ce que les Romains se trouvent au bon endroit, au moment où les rhododrendrons sont en fleur.

Dans Greek Fire, Poison Arrows & Scorpion Bombs: Biological and Chemical Warfare in the Ancient World (très divertissant), Adrienne Mayor rapporte aussi l’expérience d’un voyageur qui a mangé du miel empoisonné au rhododendron au Népal, en quantité beaucoup trop élevée (environ une once). Résultat : engourdissement, vertige, vomissements, diarrhée, difficulté à parler, hallucinations effrayantes (effets de couleur et champs de vision réduit).

Plus récemment, une femme déménagée en Turquie a relaté son expérience dans son blogue. Après une cuillère à thé de miel, les effets ont duré deux heures :

The effects were real: slight hallucinations, light-headedness, loss of balance, more-than-usual giddiness, and faintly blurred vision. My symptoms lasted approximately two hours until I dozed into a comfortable nap. Half an hour later I awoke… fortunately!

Le miel est connu en Turquie sous le nom de deli bal, ou miel fou en français.

Le poison de l’un (le rhododendron est aussi l’une des nombreuses plantes dont la sève sert à empoisonner les flèches) est le médicament de l’autre : on le retrouve dans des listes de pharmakons des médecins grecs, à administrer à petite dose. Importé en Europe, y compris la Rome antique, il servait pour des fins récréatives… à l’époque comme aujourd’hui, comme additif à des breuvages alcoolisés. On peut l’imaginer être servi lors de réceptions un peu agitées, ou lors des festivals destinés à honorer Dionysos (Grecs), Bacchus (Romains) ou Flufluns (Étrusques).

Les apiculteurs savent bien que le miel peut prendre un goût déplaisant ou devenir dangereux si les abeilles n’ont pas accès à une bonne variété de pollen, c’est pourquoi il est pratique courante de mélanger la production de plusieurs exploitations avant de l’amener au marché. Dans certaines régions, il se peut donc que le miel local contienne juste un peu de la substance qui a mis deux grandes armées de l’antiquité en grand danger.

Petite note: Dans Greek Fire, Poison Arrows & Scorpion Bombs: Biological and Chemical Warfare in the Ancient World, Adrienne Mayor dit que certains des hommes de Xenophon en sont morts, mais aucune des trois traductions que j’ai consultées ne rapporte de décès. Pas la première fois que j’ai un problème avec ce livre de Mme Major, pourtant une auteure reconnue.

Ça fait des lustrums…

« Ça fait des lustres qu’on est pas allés chercher le courrier », dit ma charmante conjointe. Mais non, pas tant que ça. Les lustres dont il est question ici réfère à lustrum, un cycle de cinq ans sous la république romaine correspondant au mandat d’un senseur. C’est aussi le titre du 2e livre de la trilogie de Robert Harris mettant en scène Cicéron, justement pendant qu’il était senseur.

Fraternisation lors du siège de Veii

Titus Livius (Histoire romaine, 5.15), dans le passage sur la prophécie du Lac d’Alba, indique que les soldats romains et étrusques étaient en position de fraterniser lors du siège de Veii, comme des soldats plus modernes dans les tranchées.

À la fin, comme la durée de la guerre avait établi entre les soldats des deux partis une certaine familiarité, un soldat des postes romains demanda au plus rapproché des gardes de la ville quel était l’homme qui avait émis ces paroles si obscures touchant le lac d’Albe. (6) Ayant appris que c’était un haruspice, ce soldat, dont l’esprit était religieux, sous prétexte d’un prodige qui l’intéressait personnellement, dit qu’il voudrait, s’il était possible, consulter le devin, et l’attira ainsi à une entrevue. (7) Lorsqu’ils furent allés tous deux à l’écart, sans armes et sans méfiance, le jeune Romain, plus vigoureux, s’élança sur le faible vieillard, et l’ayant enlevé à la face de tous, malgré les menaces des Étrusques, le transporta au camp.

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Ossuaires étrusques

Après la crémation (donc généralement avant le 5e siècle avant J-C), les os du défunt étaient souvent placés dans un ossuaire en poterie. Le personnage sur le couvercle était vraisemblablement une représentation du défunt (ou défunte dans ce cas-ci), alors que le devant de la boîte était orné d’une scène, souvent mythologique. Dans ce cas-ci, les trois ossuaires ont la même scène et celle-ci vient directement de la mythologie grecque: le combat entre Eteocles and Polynices. Production de masse d’un modèle populaire, mais vraiment un choix étrange à mettre sur ce genre de contenant.

Ossuaires